mercredi 20 mars 2013

Micah GAUGH TRIO : "the blue fairy mermaid princess"

Honnêtement ; vous le connaissiez ce gars ?
Et... vous savez le prononcer, son nom ?
Moi non plus.
Alors on ne remerciera jamais assez le label AfricanTape de s'improviser archéologue défricheur en allant fouiller de vieilles archives circa 90's et de s'éloigner de plus en plus de son terreau de prédilection, en se frottant cette fois à une certaine idée du jazz... Et là est toute la question, le nœud gordien à trancher et le sujet de thèse de comptoir. Car peut-on vraiment parler de jazz ??? Une instrumentation plutôt classique peut conforter dans ce sens : contrebasse à l'archet, batterie et au choix voix de crooner, saxes ou piano ne constitue pas à priori le trio gagnant du dynamitage de genre. Mais quand le disque part en vrille, ne décolle parfois que pour mieux se ramasser la gueule, on doute sérieusement de la capacité d'un gardien d'une certaine et regrettable orthodoxie à supporter « ça ». Une pirouette feignante, et on pourrait parler de post-jazz ; plus prudemment  l’étiqueter d'un free-form fourre-tout, histoire de mieux noyer l'anguille filante dans son élément. Mais peut-être que The Blue Fairy Mermaid Princess n'est en soi que musique de bars, se nourrissant de la fumée de ses conversations en volutes. Micah Gaugh est un clochard céleste moderne qui nous délivre une poésie avinée de crooner atonal, en regardant passer les anges (ou l'âne) dans la salle. Bien sûr il rappellera un Charles Gayle, alternant de la sorte sax ou piano, et il ira se frotter à free Albert quand la tonalité devient fougueuse. Mais sa musique ne sera jamais aussi idiosyncrasique que lorsqu'elle se perd dans les méandres avortés de structures hésitantes, quand la prose déclamée devient soliloques évanescentes jetées à la face de son audience pour être vite oubliées. Et là se planque précisément toute l'essence du jazz, même si on ne l'oublie que trop confortablement : quand se confronte cette pulsation intime à toute la fragilité même de l'instant créateur.
Moment bancal de musique vaudou pour mélomanes égarés dans une bonne défonce au crack, brother.

L'Un

Micah GAUGH TRIO : "the blue fairy mermaid princess" (AfricanTape. 2013)
son album en intégralité sur la page bandcamp du label

mercredi 6 mars 2013

Brian ENO : "Lux"

Il va falloir penser à mettre de sérieux bémols sur les prétentions graphiques de Brian Eno, vu les pochettes au design de plus en plus douteux proposées depuis quelque temps, à moins que ce ne soit là une stratégie oblique pour recadrer l'aspirant esthète sur l'essence même d'un disque : son contenu en diamant brut. Si sa première collaboration avec le label Warp donnait cette impression inconfortable de tiraillement entre tradition et modernité, force est de reconnaître que l'album a gagné à vieillir, à prendre ses distances, même si les réserves en demi teinte alors exprimées restent fondées. Avec le présent Lux, l'accueil est d'emblée plus franc, Eno nous proposant là ce qui s'inscrit dans l'ambitieux et discret work in progress, la trilogie « Music for Thinking » incluant le fondateur Discreet Music et le par trop méconnu Néroli. Certes, mais on pourrait tout aussi bien ajouter, ça un Plateaux of Mirror, là un Thursday Afternoon, and so on... Loin d'expérimentations parfois poussives, va plutôt se consolider ici le concept obsédant d'ambient music, théorisé dans les années 70's coincé dans un lit d’hôpital. L'idée alors en germination était d'écrire une musique... discrète, donc, qui se fondrait au sein de l'environnement sonore dans lequel elle est développée, les deux sources sonores étant idéalement situées à des niveaux équivalents ; une musique qu'on écoute sans l'entendre, comme on voit un passant dans la rue sans qu'il ne frappe vraiment notre surface rétinienne ou que notre mémoire ne l'enregistre. Sans vrai commencement ni fin malgré une stricte structuration, les touches orphelines d'un piano toujours aussi aérien prennent le temps de se poser en ponctuant une trame continue de fins filaments vibratoires. Erratique, la musique colle à nos digressions les plus intimes et se promène dans la pièce comme le prolongement d'un bras ballant ou d'une pensée devenue diaphane, tandis que se dessinent en filigranes les contours du silence, ou de ce qu'il y a , entre. Un son plus cristallin et diffracté, détache Lux des productions sus-citées, qui se noyaient dans d'exquises textures indéfinies. Mais toujours le même flottement statique, loin, très loin du tumulte, hypnotisé par une musique pensée pour être oubliée, de plus en plus proche d'un John Cage ou d'un Morton Feldman. On vit avec, à côté ou on rêvasse en passant à côté de son mystère : c'est l'avis de Brian.

L'Un. 

Brian ENO : "Lux" (Warp. 2012)
un trop court extrait par là